Sidi Bouzid - A la une

Que comprendre du discours de Kaïs Saïed '


Que peut-on comprendre du discours de Kaïs Saïed prononcé hier soir, lundi 20 septembre 2021 depuis la ville de Sidi Bouzid ' Difficile à dire, tant le chef de l'Etat semblait plus se soucier de nourrir l'euphorie collective que d'être réellement compris.
Tous les ingrédients étaient réunis hier soir pour que le discours présidentiel soit intelligible. Une visite-surprise non annoncée - même pour l'équipe de télévision qui avait l'exclusivité de couvrir le discours et de le diffuser en direct - une mauvaise préparation, un public entassé, dissipé et bruyant et un président noyant ses paroles dans un flot de colère.
Il fallait tendre l'oreille et essayer d'écouter au milieu du brouhaha collectif. Le chef de l'Etat avait réuni une foule chauffée à blanc pour l'acclamer et applaudir chacune de ses tirades. « Nous sommes avec vous, monsieur le président ! », « fidèles, fidèles au sang des martyrs ! », « le peuple veut la dissolution du Parlement » hurlait la foule en sifflant, applaudissant et brandissant le drapeau national.

Ce n'est certainement pas par hasard que le chef de l'Etat a choisi la ville de Sidi Bouzid, « berceau de la révolution » et initiatrice du mouvement du 17-décembre. Première ville que Kaïs Saïed a décidé de visiter une fois élu président en 2019, il était certain de l'accueil qui allait lui être réservé hier. En 2019, il avait décrété le 17-Décembre fête nationale en hommage aux martyrs de Sidi Bouzid.
Dans son discours prononcé il y a deux ans dans cette même ville, Kaïs Saïed avait assuré qu'il honorera ses engagements en réalisant la volonté du peuple en dépit des complots, ajoutant que les mécanismes légaux doivent être mis en place pour que le peuple concrétise ses souhaits. Même discours tenu hier, à deux ans d'intervalle.
A Sidi Bouzid, hier soir, le locataire de Carthage a affirmé que le 17-Décembre est la date de déclenchement de la révolution et que le 14-Janvier était celle de son avortement, réitérant son attachement à « honorer la volonté du peuple ». Mais comment compte-t-il y parvenir '

En plus de 40 minutes de discours présidentiel, Kaïs Saïed n'a été concret que durant les 10 dernières minutes, annonçant que les mesures exceptionnelles allaient se poursuivre et que des dispositions transitoires ont été mises en place. Il a aussi annoncé qu'un nouveau chef de gouvernement allait être bientôt désigné et un nouveau Code électoral mis en place. Faut-il comprendre que le chef de l'Etat compte enfin suspendre la Constitution actuelle ' Lui qui n'avait cessé de laisser entendre ces dernières semaines que la situation dans le pays nécessitait une nouvelle vision qui ne pouvait se matérialiser qu'à travers des réformes politiques fondamentales dont le Code électoral et la Constitution '
Les avis divergent en réponse à cette question floue qui a suscité une véritable polémique. Au lieu de se prononcer clairement, Kaïs Saïed a préféré, encore une fois, nourrir le flou dans une période des plus compliquées. Pour son frère, Naoufel Saïed, il ne s'agit pas de suspendre la constitution. Il explique, sur sa page personnelle que « ces mesures transitoires garantissent temporairement la coexistence entre les dispositions en vigueur, qui sont sur le point de disparaître, et les nouvelles mesures qui seront adoptées », en citant l'article 10 de la Constitution.
Pour d'autres acteurs de la scène politique, dont le membre du bureau exécutif d'Ennahdha, Abdellatif Mekki, qui affirme qu'il n'y a pas de doute possible au fait que le président de la République a annoncé officiellement, lors de son discours hier à Sidi Bouzid, sa décision de geler la Constitution.
La constitutionnaliste Salsabil Klibi, est, elle aussi, restée perplexe face au discours d'hier. A l'adresse du chef de l'Etat, elle a écrit : « Vous avez laissé le sort de la constitution de 2014 dans le flou et avez affirmé votre engagement à garantir les droits et libertés dans une salle où personne n'y prêtait la moindre attention ». Elle ajoute que « l'article 80 de la constitution vous oblige à retourner à l'avant 25 juillet ».

En attendant, s'il promet la nomination prochaine d'un nouveau gouvernement, le chef de l'Etat n'en donne toujours pas les contours. On attendra, en effet, qu'il définisse la vision qu'il désire donner à la nouvelle équipe gouvernementale, et le statut qu'elle aura, avant d'en connaitre les noms.

Pour quelqu'un qui se défend d'être embourbé et confus, Kaïs Saïed fait pourtant tout pour prouver qu'il l'est vraiment. Au lieu de se présenter directement aux Tunisiens dans un discours préparé, maitrisé, rassurant et, surtout, clair et simplifié, le chef de l'Etat a préféré leur servir une diatribe enflammée. On le voyait, maitrisant mal ses propos - et la foule - vociférer et cracher son venin sur les « autres », ses adversaires, les criminels, les corrompus et les voleurs'qu'il refusera toujours de nommer.
Kaïs Saïed qui avait commencé son discours en affirmant qu'il n'était pas venu « pour jouer une pièce de théâtre » aux piètres instigateurs et acteurs, a pourtant fait tout le contraire'.
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