Eloignons nous un peu, si tant est qu'on puisse totalement s'en détacher, de l'actualité immédiate. Il est des phénomènes dont on ne peut passer outre et dont il serait intéressant de s'y attarder et d'y regarder de plus près. Surtout quand ces manifestations impactent la politique d'un pays et définissent ses contours et certaines décisions, surtout quand cela émane du plus haut représentant du pays : le chef de l'Etat.Le complotisme présidentiel, parlons-en, dans la mesure où il nous est encore possible de nous exprimer librement. Kaïs Saïed, avant même qu'il ne soit président, avait cette tendance à se laisser tenter par un imaginaire conspirationniste, mais en accédant à la magistrature suprême, le problème a pris de l'ampleur.
En politique, la paranoïa n'est pas chose d'exceptionnelle. L'exercice du pouvoir dans son essence, surtout pour quelqu'un qui s'est isolé et s'est mis sur le dos la moitié de ce qu'on appellera l'establishment, peut rendre parano. Toutefois, on ne parle pas dans le cas d'espèce d'une manifestation secondaire, mais d'un style intrinsèque à la pensée présidentielle prompt à identifier des complots partout. Complots qui seraient responsables des défaillances et des couacs, même ceux survenus sous son « règne ».
Si l'on étend notre champ de vision, on saura que ce phénomène à le vent en poupe dans le monde, notamment en politique, et se croise à merveille avec la montée en puissance des populismes. Ces deux phénomènes, complotisme/populisme, se rejoignent dans cette rhétorique qui oppose d'un côté des élites tirant les ficelles et cachant leurs vils desseins, et de l'autre, un peuple qui se veut souverain mais se retrouve dominé contre son gré par ces élites.
A notre petite échelle, qui ne s'avère pas si déconnectée du monde qui l'entoure, nous pouvons dire que dans une certaine mesure, nous écopons d'un président populo-complotiste qui n'a eu de cesse de vendre à son peuple l'idée d'une cabale pour expliquer le marasme politico-économico-social.
Sidi Bouzid, 17 décembre 2019, premier contact, premier choc tout juste après son élection. On découvre un président au discours enflammé, il alimente un sentiment de persécution le visant mais par ricochet collectif, un complot contre lequel il est nécessaire de partir en croisade. Il prend à témoin les citoyens en accusant les institutions de comploter contre lui et des parties d'élaborer des man'uvres pour atteindre d'obscurs objectifs. Le ton était donné. Il n'aura de cesse de crier à la conjuration, aux chambres noires et aux machinations dans la nuit et cela deviendra récurrent après le 25 juillet.
La crise économique ' Ce n'est pas sérieux, ce sont les élites qui spolient les richesses du peuple. Il suffirait de les déposséder pour que tout rentre dans l'ordre. Sauf que la réalité rattrape à coup sûr les fantasmes et le président a fini par concéder qu'il s'agissait d'un problème beaucoup plus profond.
Kaïs Saïed n'est pas satisfait du rendement de l'administration, mais que dit-il pour diagnostiquer la chose ' Est-ce un problème de gouvernance, de système éculé, d'une bureaucratie sclérosée ' Non. C'est que l'administration est infiltrée par des espions, qu'elle est devenue un centre d'espionnage et qu'en sillonnant les couloirs on entend les sifflements des vipères sans pour autant les voir. Sic.
Sfax est sous les ordures depuis plus de 40 jours. L'Etat laisse faire. La ministre de l'Environnement s'y rend et rentre sans solution. C'est que l'affaire est complexe et traine depuis des années. Première réaction du chef de l'Etat : il s'agit d'un complot. Des parties font exprès de ne pas ramasser les ordures, elles usent de tous les moyens pour ouvrir la voie aux rats et générer les crises pour faire du chantage, lui nuire' Re-sic. Le reste de l'histoire, est à voir du côté de l'ordre donné au ministère de l'Intérieur d'intervenir et la réouverture de la décharge de Agareb.
Le postulat derrière cette pensée présidentielle est que : ce n'est pas moi, ce sont les autres. De fait, il ne pourrait être tenu pour responsable des désagréments du pouvoir parce que ce sont ceux qui ourdissent des plans machiavéliques qui pourrissent la situation. Mais cette rhétorique, si elle peut être attrayante pour une certaine frange, elle atteindra tôt ou tard ses propres limites, le président étant aujourd'hui, de fait, le seul maître à bord. Les grands moments de politique paranoïaque ne durent pas éternellement, l'Histoire l'a prouvé.
Posté Le : 13/11/2021
Posté par : infos-tunisie
Source : www.businessnews.com.tn